Récemment, à l’aube, mon maître intérieur m’a chuchoté: vas-y, fonce faire ta deuxième injection, c’est le bon moment! Même claire injonction que deux mois auparavant, lorsqu'une situation familiale difficile m’avait poussée à m’inoculer une première dose d’ARN messager: mon papa bien-aimé fraîchement veuf était depuis des semaines dans un état de panique totale à l’idée que je puisse nous mettre tous deux en danger en refusant une vaccination martelée par des médias taxant de complotiste toute personne osant exprimer le moindre doute. Un choix fait par gain de paix, malgré mes craintes de perturber une santé équilibrée à grands renforts de balades et danse, et de solides réticences à cautionner Big Pharma ou d’obéir à des injonctions gouvernementales transformant en gendarmes les gens d’accueil que sont les restaurateurs, tenanciers d’espaces bien-être et autres artistes.
Si vous saviez, j’ai tellement hésité, pour la première comme pour la deuxième… La majorité de mes amis sont plutôt antivax, très engagés dans des réseaux de solidarités humanistes. Ça me plaisait de faire partie des rebelles, des insoumis, de soutenir ceux qui vont jusqu’à perdre leur travail par respect pour leur intégrité, même si je trouvais personnellement peu souverain le fait de grelotter sur les terrasses* en forçant mon entourage vacciné à en faire de même, de ne plus pouvoir aller à la piscine, ni au théâtre et encore moins au cinéma. Bref, pendant des mois ça a été un jour oui, un jour non, tandis que les amis qui suivent la même Ecole des Mystères que moi se faisaient vacciner les uns après les autres, convaincus que sitôt qu’on intègre quelque chose en soi avec une conscience positive, cela ne peut pas nuire.
Bref, ce fameux jour, je traverse Genève à pied en direction du centre de vaccination, quant me voilà subitement étreinte par une immense tristesse. Même si j’avance toujours, je ne cesse de pleurer et quand crépite le texto d’une amie qui me félicite d’être enfin sortie de l’indécision, je lui réponds: « Chaque pas me rapproche de la trahison de moi-même ». Alors que j’hésite encore devant le centre, cette amie me téléphone, me rappelant notamment le cas d’une autre amie qui a littéralement guéri d’une malade grave suite au vaccin, ayant réussi à convaincre son organisme que cette inoculation lui serait bénéfique.
Quelques bonnes respirations plus tard, je pénètre dans le centre, évoquant le roseau de La Fontaine qui sait plier devant la tempête pour mieux se relever par la suite, contrairement au chêne qui résiste et casse. Avant et après la piqûre, je médite furieusement dans mon box… au point qu’un grand silence se fait soudain dans l’immense halle, bourdonnante à mon arrivée. Je sens très clairement que mon rayonnement apaise les nouveaux vaccinés, les derniers récalcitrants, ceux qu’on a forcé pour raisons professionnelles ou familiales, « les patients les plus difficiles de toute ma carrière », me confie l’infirmière dans un soupir.
Après un café-croissant sur un banc ensoleillé, je rentre chez moi un peu groggy, puis m’écroule à nouveau en larmes, atteinte d’un incoercible chagrin, frappant mon oreiller en me traitant de lâche et de collabo. A ma stupéfaction, au moment de basculer dans un sommeil de docker, mon maître intérieur énonce très clairement : « Bravo, tu as enfin lâché ta dernière cause, tu as déposé les armes intérieures ! Je suis si fier de toi…» Et d’expliquer à ma petite personne encore hoquetante qu’il va maintenant pouvoir transformer en inoffensives facettes plusieurs aspects particulièrement douloureux de vies antérieures : notamment l’esclave rebelle mort sous la torture, la jeune captive aux veines ouverte avec les dents pour échapper aux viols vikings, mais surtout la chrétienne assistant à la mise à mort de ses compagnons, déchiquetés par les lions du cirque devant une foule avide, elle qui n’avait pas eu ce courage, préférant la vie au martyre. « Il faut aussi du courage pour se rétracter » ajoute mon maître, tandis que mon compagnon renchérit un peu plus tard : pour continuer ses recherches en paix, Galilée lui-même avait fini par renier sa conviction que la terre tournait autour du soleil…
Quant à moi, trois semaines après mon deuxième vaccin, pas le moindre effet secondaire sinon une épaule très douloureuse les premières 24 heures et un immense soulagement : me voilà enfin sortie du grand-huit émotionnel de la conscience collective qui m’aspirait régulièrement depuis le début de la crise Covid. Fini la dualité pro-ceci et anti-cela, le vain combat de ceux qui campent sur leur positions et se ferment aux arguments de l'autre partie. Seule l'Histoire les départagera (à moins que ce ne soit le variant Omicron !). Je redeviens paisible observatrice d’un monde plongé dans le chaos prometteur de l’Eveil.
*Eh oui, même le pays de liberté qu’est la Suisse a cédé au Pass « sanitaire », on nous a cependant consenti l’accès aux terrasses qui sont entretemps devenues de confortables écrins bien chauffés, et des établissements "privés" à donation libre contournant la loi (j'adore) commencent à faire flores.