J'avais proposé l'écrit suivant - davantage grand public que d'habitude - à Bon Pour La Tête, un média helvétique que je savoure pour sa liberté de ton et d'opinion, emmené par un comité de journalistes bénévoles que je respecte énormément. A ma surprise il a été publié... et bien reçu! De tous jeunes gens, ainsi que des octogénaires l'ont également apprécié suffisamment pour me le faire savoir... Je suis très touchée, très émue! A lire ICI ou ci-dessous...
Il y a bien des années, enroulée dans une nappe en toile cirée, j’avais passé la nuit dans un champ humide. Bivouac improvisé après avoir tout perdu: mes amours, mon toutou adoré et la vieille ferme dont nous venions terminer la rénovation. Inutile de dire que je n’ai pas fermé l’oeil. Des terreurs issues de la nuit des temps dansaient une valse endiablée sous ma boîte crânienne. Plongée dans la solitude absolue de « celui à qui cela arrive » je me demandais comment j’allais survivre à cet écroulement.
Paradoxalement, je baignais dans une sorte d’exaltation, oh très diffuse, mais quelque chose en moi « savait » que cela devait arriver. Cela faisait trop longtemps qu’un noeud au ventre chronique n’attendait que de se transformer en maladie. Exaltation parce que soudain l’ancien était balayé. Il ne restait devant moi que le nouveau, une belle page blanche que je pouvais commencer à orner de toutes les écritures, de tous les possibles.
L’euphorie a été de courte durée. La remontée de mes vieux démons, de mes parts d’ombre et de mes peurs m’a rapidement rattrapée. Avant de pouvoir construire du neuf, il m’a fallu procéder à un ménage intérieur conséquent; décrassage de mes schémas et croyances, dépoussiérage de mes mémoires ancestrales, toilettage de mes vieilles blessures… Le plus dur a été de sortir du statut de victime. Que de de chaos, de nuits à pleurer, de jours à ramper avant de trouver un nouvel équilibre.
Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris que j’avais vécu un épisode d’éveil, suivi de nombreuses répliques, comme des millions d’autres avant moi. Ces moments précieux où l’on ouvre les yeux sur une nouvelle réalité, tandis que l’ancienne se révèle dans toute son absurdité. Ce basculement qui fait que les choses ne sont plus jamais les mêmes.
Un monde en chaos
Début 2020. Un virus microscopique met à genoux des milliards d’humains. Passé la stupeur du premier confinement, teintée de l’exaltation de respirer un air cristallin, place au chaos de la deuxième vague. Entraînés dans une spirale émotionnelle, les politiques déboussolés continuent à édicter ce qu’ils pensent être juste, sous l’épée de Damoclès d’attaques en justice ultérieures pour n’avoir pas assez protégé leurs concitoyens. Guidés par des experts à lorgnettes, les édiles ne tolèrent plus la contradiction. Les médias non plus. Dans nos démocraties, les positions se durcissent jusqu’à la haine entre angoissés du Covid et terrifiés du totalitarisme technologique qui pourrait s’ensuivre. L’absence de débat génère les théories les plus folles, fait monter une anxiété délétère… pour la santé ! Des millions de gens perdent leurs moyens de subsistance, d’autres s’enrichissent sans commune mesure. Et on n’a probablement encore rien vu de la crise économique qui va s’ensuivre. Il est de plus en plus clair que rien sera plus jamais comme avant.
Et en même temps, les yeux se décillent. Les idéalistes sont de moins en moins seuls à penser que ce système ne pouvait pas continuer à pratiquer une telle cruauté envers l’homme, une telle brutalité envers la nature. La doxa « profit à tout prix » montre plus que jamais ses limites : tant d’injustices, de dysfonctionnements, d’entorses au bien commun se révèlent impitoyablement. Dans cette sorte d’apocalypse, les jeux de pouvoir, la corruption et les liens d’intérêts apparaissent au grand jour. Maintenant que le voile se lève, on réalise que c’est aussi l’absence de valeurs dites féminines comme l’empathie, l’intériorité ou l’intuition au sein des instances dirigeantes qui nous a mené dans cette gonfle. On capte enfin qu’il est totalement illusoire d’attendre des solutions durables de ces mêmes martiales élites. Le virus remplit impitoyablement son rôle d’éveilleur, de rééquilibreur nous diraient les médecins holistiques.
Germination
Encore souterrain et peu visible, un profond mouvement de transformation individuelle est à l’oeuvre. Pendant ces moments retirés du monde, ce nichage obligatoire au creux de soi qui se prolonge, chacun est obligé de faire le point, de réaliser ce qu’il ne veut plus, et surtout ce qu’il veut. Nombreux sont ceux qui savent soudain qu’ils vont maintenant trouver la force de quitter cet homme ou cette femme toxique pour eux. Certains ont réalisé qu’il était temps d’utiliser une énergie retrouvée pour un job plus adéquat, ne nécessitant plus de déplacements absurdes et coûteux ou que finalement ce restaurant, ce salon d’esthétique, ce n’était plus leur tasse de thé. D’autres ont découvert les outils gratuits et participatifs du web, et les moyens de lancer une entreprise axée sur le bien commun. Des petites voix intérieures ont chuchoté à beaucoup que s’ils osaient enfin réaliser un rêve de toujours, les ressources suivraient, forcément. Renouant avec notre souveraineté personnelle, on reprend courage…
Quoi que diffusent des théories voulant nous plonger dans une conscience de victime, les ultra-riches s’interrogent comme les autres : pas complètement crétins, ils savent bien qu’un monde où plus personne ne serait en mesure d’acheter leurs produits et services ne leur servirait à rien.
Ah, je me plais à rêver à un printemps de l’amour, comme le Summer of Love des années soixante, au sortir d’une débâcle mondiale autrement plus effroyable que ce que nous traversons aujourd’hui. Comme il va être bon de renouer avec notre profonde humanité ! Dans cinq ans, ou dans dix, on va peut-être parvenir à dépasser les clivages politiques et promouvoir les initiatives que les films Demain ou Thrive ont mis au goût du jour; on ne se moque déjà plus de ceux qui veulent prendre soin de la planète et du vivant, ni des tenants d’une allocation universelle mondiale sans condition. Les déficits prévus font qu’on juge la taxe Tobin ou les micro-taxes sur les transactions bancaires de moins en moins farfelues. Au niveau économique, les cryptomonnaies - soutenant de jeunes pousses - se comptent déjà par milliers. Quant à la technologie blockchain, fiable et décentralisée, elle intéresse de plus en plus d’instances vertueuses. Est-il vraiment complètement naïf et irréaliste de penser que la majorité des grandes entreprises pourraient progressivement répondre aux réels besoins de l’Homme et de son environnement ? On oublie parfois que de nombreuses multinationales sont nées de services rendus au public et que bien d’autres vont suivre, avec des fondateurs plus conscients des dérives possibles. Les structures d’entreprises comme Patagonia ou Spotify sont déjà complètement décentralisées, chaque collaborateur y a un rôle authentique à jouer.
Créativité
Quant à la créativité qui nous a tant manqué ces dernières décennies, ne pourrait-elle pas se déployer enfin librement, loin des réglementations absurdes ? En ce monde nouveau, les artistes et les inventeurs ne pourraient-ils pas enfin être considérés comme essentiels ? Et si on créait des écoles et des enseignements axés sur l’imagination et la révélation des talents de chacun, des habitats ludiques, des jardins comestibles ébouriffés à la place des ennuyeux gazons d’immeuble ? Et si des énergies nouvelles et propres remplaçaient les archaïques carburants fossiles, tel l’hydrogène dont on vient de trouver un moyen de production à bas coût financier et écologique, alléchant déjà les constructeurs de camions, de cargos et même d’avions ? Et si des médicaments sans effets secondaires se substituaient à une chimie d’un autre temps ? Et si on trouvait des moyens inattendus pour que chacun ait à manger et un toit, sachant que maintenant déjà des imprimantes 3D parviennent à produire des composants de bâtiment, de la nourriture presque à partir de rien ? Et si on associait le meilleur de la robotique, de l’intelligence artificielle et des nanotechnologies dans des inventions favorisant la vie ? De toute manière n’émergeront et ne plairont au client-roi que nous sommes tous que les innovations qui lui conviendront véritablement… Et si, cerise sur le gâteau, une conscience d’abondance remplaçait enfin cette fichue conscience de manque qui nous étouffe depuis si longtemps ?
Nos pages blanches vont commencer à se dérouler. Car là aussi, le Nouveau arrive. Tout ce à quoi on n’avait pas songé auparavant, la tête bien trop coincée dans le guidon d’une société qui fonçait droit dans le mur, émerge. On se sent capable de faire sauter toutes les limites, d’imaginer d’étonnants moyens de prospérer, de réactiver notre bienveillance innée… sans s’occuper de l’ancien, qui pourrait bien s’écrouler tout seul dans son coin, tout étonné de n’avoir rien vu venir, même s’il sur-réagit parfois avec des décisions et comportements aberrants. Tenter de contrôler tout le monde comme en Chine équivaut à créer une cocotte-minute géante destinée tôt ou tard à exploser. Non, on ne retournera pas en arrière, j’en suis convaincue au plus profond de mes tripes…
Et puis, un éveil planétaire, ça a plus de gueule qu’une extinction généralisée, non?